
Le principe anthropique est une réflexion sur la relation entre l’existence de l’univers tel que nous le connaissons et la présence d’observateurs capables d’en prendre conscience. Et puisque nous sommes les seuls observateurs conscients que nous connaissons, le principe s’est souvent résumé à un concept philosophique et scientifique qui examine les conditions nécessaires à l’existence de l’observateur humain dans l’univers.
Et de là à dire que l’Univers a été créé et réglé par Dieu spécifiquement pour que Homo Sapiens apparaisse, il n’y avait qu’un pas. CQFD ?
Ce (très grand) pas est en réalité un pas de travers épistémologique qui a conduit à des interprétations tendancieuses et à des appropriations douteuses et injustifiées. Le principe en lui-même n’est pas en cause, mais son nom, oui.
Ce que dit le principe
Il est considéré différemment selon les versions, mais les deux principales sont le principe anthropique faible et le principe anthropique fort.
- Le principe anthropique faible stipule que l’univers doit avoir des propriétés compatibles avec la vie consciente qui l’observe, car sinon, personne ne serait là pour observer ces propriétés. En d’autres termes, les constantes physiques et les conditions initiales de l’univers sont telles qu’elles permettent l’existence de la vie, ce qui est une condition nécessaire pour que nous soyons là pour en discuter.
- Le principe anthropique fort va plus loin en affirmant que l’univers doit avoir des propriétés qui permettent la vie consciente et que cette condition est fondamentale à la structure de l’univers. Selon ce principe, l’univers est en quelque sorte « ajusté » ou configuré pour permettre l’émergence de la vie.
- Il existe plusieurs autres variantes et interprétations du principe anthropique, qui peuvent aller de l’idée que notre univers est simplement un parmi de nombreux autres (multivers), et que nous observons cet univers particulier parce qu’il permet la vie, à des interprétations plus métaphysiques ou téléologiques qui suggèrent une sorte de but ou de finalité derrière les constantes de la nature.
Le principe anthropique suscite des débats sur plusieurs fronts :
- Scientifique : Certains scientifiques considèrent que le principe anthropique faible est une tautologie et n’apporte pas de nouvelles informations. D’autres estiment que le principe anthropique fort peut être un guide utile pour la recherche de théories unificatrices.
- Philosophique : Le principe soulève des questions sur la nature de l’univers et de la conscience, et sur la possibilité de l’existence d’univers multiples.
- Théologique : Pour certains, le principe anthropique fort peut être interprété comme un argument en faveur de l’existence d’un créateur ou d’une intelligence supérieure ayant configuré l’univers pour permettre la vie.
- Religieuse : Pour d’autres encore, il est exploité comme un argument au bénéfice d’une religion en particulier, voire d’un peuple en particulier et de sa descendance.
Et du fait de ces débats, et dans le cas de l’hypothèse principe anthropique fort, la terminologie utilisée est d’une grande importance.
Pourquoi "anthropique" ?
Le terme « anthropique » vient du grec « anthropos », qui signifie « être humain ». Nous l’avons dit, la raison principale de l’utilisation de ce terme est que les observateurs conscients dont nous parlons sont des humains. Le principe se concentre donc sur le fait que l’univers a des conditions qui permettent l’existence d’observateurs humains capables de poser des questions sur ces conditions.
Le terme a été popularisé dans les années 1970 par des physiciens comme Brandon Carter, qui a formulé explicitement le principe anthropique. À l’époque, la réflexion portait sur la capacité des humains à observer et comprendre l’univers.
Même si le principe pourrait s’appliquer à toute forme de vie consciente, l’usage du terme « anthropique » met en avant l’élément de conscience et d’observation, qui est spécifiquement associé à l’humanité, au moins dans notre compréhension actuelle.
Une terminologie auto-centrée ?
Le terme « principe anthropique » prête pourtant à confusion en suggérant une orientation strictement spécifique vers l’humain, alors que l’idée sous-jacente est plus largement liée à la compatibilité de l’univers avec la vie consciente en général.
D’une manière générale, il s’agit de considérer l’univers comme a minima compatible avec la vie (donc plus ou moins par hasard) et a maxima comme relevant d’une volonté consciente visant à créer la vie.
Mais pourquoi alors le nommer « anthropique » ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’une volonté de créer spécifiquement l’humain, comme seul détenteur d’une conscience dans toute l’immensité de l’Univers ?
Principe biocentrique fort ?
Dans l’hypothèse a minima (mais néanmoins forte), ne devrait-on pas alors le nommer plutôt « Principe biocentrique » pour indiquer que l’univers semble compatible avec la vie en général, et pas seulement avec la vie humaine ? Par suite, la vie serait une conséquence inévitable voire désirée de la création et de l’évolution de l’univers et dans ce cas, l’avènement de la conscience humaine est un corollaire annexe collatéral et une surprise récente.
L’hypothèse biocentrique forte suppose donc que :
- L’univers est configuré de manière à permettre l’apparition de la vie en général.
- La vie est le but ou le résultat attendu de l’évolution de l’univers, une conséquence inévitable voire intentionnelle de la création et de l’évolution de l’univers.
- La conscience humaine est vue comme une conséquence secondaire, voire inattendue, ou un produit collatéral de cette vie.
Principe noocentrique fort ?
Dans l’hypothèse a maxima (et encore plus forte), une autre terminologie pourrait être « principe cognitif » ou « principe noocentrique » (du grec « nous » pour esprit ou conscience), mettant ainsi l’accent sur la capacité cognitive et consciente de l’observateur, plutôt que sur l’espèce spécifique de cet observateur. Une autre formulation pourrait être « principe de la vie consciente », qui engloberait toute forme de vie capable de comprendre et d’observer l’univers.
L’hypothèse noocentrique forte énoncerait donc que :
- Cette hypothèse va au-delà en affirmant que l’univers est configuré de manière à aboutir nécessairement à une forme de vie consciente. L’univers a des propriétés spécifiques permettant non seulement la vie, mais aussi la vie consciente, mettant ainsi en avant le rôle de la cognition et de l’observation.
- La conscience, et par extension la conscience humaine, est considérée comme un résultat prévu ou inévitable de l’évolution cosmique.
Implications des Terminologies
En adoptant des termes comme « biocentrique » et « noocentrique », on peut mieux distinguer les nuances entre ces hypothèses :
- Le principe biocentrique fort se concentre sur la vie en général. L’avènement de la conscience humaine est considéré comme un sous-produit de la vie et l’hypothèse de la conscience en tant que nécessité cosmique est réduite.
- Le principe noocentrique fort met l’accent sur la conscience comme un résultat clé de l’évolution de l’univers, en suggérant que l’univers est structuré de manière à permettre l’émergence de la conscience, y compris humaine et en accordant une importance particulière à la capacité d’observer et de comprendre l’univers.
Le terme « principe noocentrique fort » semble particulièrement adapté pour souligner l’idée que la vie consciente pourrait être une conséquence inévitable et peut-être intentionnelle de l’évolution de l’univers. Néanmoins, dans les fondements scientifiques du traditionnel principe anthropique fort, rien n’indique que les paramètres de l’évolution de l’Univers conduise à légitimer cette hypothèse extra-forte.
Les paramètres du Fine Tuning
Ce que nous pensons savoir actuellement de l’évolution de l’Univers nous indique que sans un certain nombre d’ajustements fins et précis (Fine tuning), l’Univers se serait développé différemment et n’aurait pas eu la stabilité nécessaire à l’apparition de la vie. Ces paramètres indiquent qu’une légère variation dans l’un de ces domaines pourrait rendre l’univers inhospitalier à la vie telle que nous la connaissons. C’est cette précision des valeurs qui forme la base de l’argument du « fine tuning » utilisé dans le principe anthropique :
- Constante cosmologique (Λ) : Cette constante détermine la densité d’énergie du vide spatial, influençant l’expansion accélérée de l’univers. Une valeur légèrement différente empêcherait la formation des galaxies ou provoquerait une expansion si rapide que les étoiles et les planètes ne pourraient pas se former.
- Constante de gravitation (G) : La constante gravitationnelle détermine la force de gravitation entre deux masses. Une gravité plus forte ou plus faible affecterait la formation des étoiles, des planètes et des galaxies, rendant l’univers inhospitalier à la vie.
- Constante de structure fine (α) : Cette constante mesure la force de l’interaction électromagnétique entre les particules élémentaires chargées. Une modification de cette constante affecterait la chimie fondamentale, rendant impossible la formation des atomes complexes nécessaires à la vie.
- Rapport des masses du proton et du neutron : La légère différence de masse entre le proton et le neutron est cruciale pour la stabilité des noyaux atomiques. Si cette différence était plus grande ou plus petite, cela perturberait la nucléosynthèse dans les étoiles, empêchant la formation des éléments nécessaires à la vie.
- Constante de Planck (h) : Cette constante quantifie les effets quantiques. Elle joue un rôle crucial dans la détermination de la structure de l’atome et des réactions chimiques. Des valeurs différentes affecteraient les niveaux d’énergie des électrons dans les atomes, rendant impossible la chimie organique.
- Densité de l’univers (Ω) : La densité initiale de l’univers détermine s’il va s’effondrer sur lui-même, continuer à s’étendre indéfiniment ou atteindre un équilibre. Une légère déviation de la densité critique aurait conduit à un univers trop dispersé ou trop dense pour permettre la formation de galaxies et d’étoiles.
- Paramètre de Hubble (H0) : Ce paramètre mesure le taux d’expansion de l’univers. Un taux d’expansion trop élevé ou trop bas aurait empêché la formation des structures nécessaires à la vie.
- Force nucléaire forte : Cette force maintient les protons et les neutrons ensemble dans les noyaux atomiques. Une force légèrement plus faible ne pourrait pas lier les protons et les neutrons, tandis qu’une force plus forte empêcherait les réactions nucléaires nécessaires à la formation d’éléments plus lourds que l’hydrogène.
- Force nucléaire faible : Elle est responsable de certains types de désintégration radioactive. Si cette force était légèrement plus forte ou plus faible, cela affecterait la nucléosynthèse stellaire et la production des éléments nécessaires à la vie.
- Ratio de l’électromagnétisme à la gravité : Ce rapport détermine la manière dont les forces électriques et gravitationnelles interagissent. Des valeurs différentes modifieraient la structure des étoiles et des planètes, rendant impossible les conditions stables pour la vie.
Variabilité du Nombre de Paramètres
Le nombre exact de paramètres considérés comme formant le « fine tuning » de l’univers peut varier selon les auteurs et les critères qu’ils utilisent. Toutefois, en général, les discussions sur le fine tuning mentionnent habituellement entre une dizaine et une vingtaine de paramètres.
- Consensus Général : La plupart des discussions académiques et populaires mentionnent généralement une dizaine de paramètres principaux, comme ceux énumérés précédemment (constante cosmologique, constante de gravitation, constante de structure fine, etc.).
- Élargissement du Cadre : Certains auteurs peuvent inclure des paramètres additionnels liés à des aspects plus spécifiques de la physique des particules, de la cosmologie ou de la chimie. Par exemple, ils peuvent inclure des paramètres relatifs aux masses des quarks, aux couplages entre particules élémentaires, ou aux constantes de désintégration des particules.
- Approches Différentes : Les approches philosophiques ou théologiques peuvent également varier dans le nombre de paramètres considérés. Certains auteurs peuvent se concentrer sur un nombre plus restreint de paramètres qu’ils jugent les plus critiques, tandis que d’autres peuvent inclure une liste plus exhaustive pour renforcer leur argumentation.
Exemples de Variabilité :
- Martin Rees dans son livre « Just Six Numbers » se concentre sur six paramètres fondamentaux qu’il juge cruciaux pour la structure de l’univers.
- John Barrow et Frank Tipler** dans « The Anthropic Cosmological Principle » présentent une liste plus étendue de paramètres, couvrant divers aspects de la cosmologie et de la physique des particules.
- Leonard Susskind** et d’autres physiciens théoriciens explorant l’hypothèse du multivers peuvent inclure un nombre plus grand de paramètres pour discuter de la diversité des conditions possibles dans différents univers.
En résumé, le nombre de paramètres considérés comme formant le fine tuning de l’univers peut varier, allant généralement d’une dizaine à une vingtaine selon les auteurs et les contextes de discussion. Cette variabilité dépend souvent de l’objectif de l’argumentation et du niveau de détail considéré nécessaire pour illustrer le concept de fine tuning.